Grand Prix Töpffer

Le Grand Prix Töpffer met en lumière l'ensemble de l'œuvre d'un·e artiste de bande dessinée francophone (ou traduit en français) pour sa portée remarquable dans le paysage de la bande dessinée actuelle, principalement à Genève.

Posy Simmonds

En 2022, le Grand Prix est attribué à Posy Simmonds. Posy Simmonds est née en 1945. Elle grandi près de Cookham dans le Berkshire, en Angleterre et suit des études de graphisme à la Central School de Londres. Lors de ses années d’études, elle travaille brièvement comme promeneuse de chiens, femme de ménage et gouvernante française (en Grèce).

En 1968, Posy Simmonds commence à travailler en tant que dessinatrice/illustratrice indépendante, contribuant à un large éventail de magazines et de journaux britanniques. Son dessin hebdomadaire dans The Guardian sur la bourgeoisie anglaise de gauche, commence en 1977 et dure dix ans. Des recueils de ces dessins sont publiés sous forme de livre, notamment True Love (1981) et Mrs Weber's Omnibus (2012).

Gemma Bovery inspiré de Gustave Flaubert, est publié en série quotidienne dans The Guardian en 1999 et Tamara Drewe en 2005-2006. Les versions livres ont été traduites en huit langues et les deux romans ont été adaptés au cinéma, Tamara Drewe réalisé par Stephen Frears en 2010 et Gemma Bovery réalisé par Anne Fontaine en 2014. Tamara Drewe a remporté le Grand Prix de la critique de l'ACBD en 2009; Cassandra Darke, publié en 2018, a été sélectionné pour le prix du polar en 2020 à Angoulême.

Posy Simmonds est également l'autrice de plusieurs livres pour enfants, parmi lesquels Baker Cat (le Chat du Boulanger) et Fred, dont la version filmée est nominée aux Oscars en 1996.

Son travail a été présenté au Museum of Modern Art d'Oxford et dans plusieurs expositions organisées par l'Arts Council et le British Council. Des rétrospectives de son œuvre ont été exposées au Centre belge de la Bande dessinée à Bruxelles en 2012, au Cartoonmuseum Basel en 2021 et à la Maison de la bd de Blois en 2021.

Elle est nommée membre de la Royal Society of Literature en 2005. Posy Simmonds est mariée au designer et écrivain Richard Hollis et vit à Londres.

Comment avez-vous appris que vous étiez lauréate du Grand Prix Töpffer? Quel était votre première réaction?

J’étais enchantée! C’était un jour gris lorsque j’ai reçu le coup de fil pour m’annoncer la nouvelle. Après cet appel, j’étais très heureuse, c’était une vraie belle surprise. Les métiers de l’illustration sont souvent très solitaires. Lorsqu’on reçoit un prix comme celui-ci, on se rappelle qu’on est lue et qu’on fait partie d’un tout.

Pouvez-vous nous parler du dessin que vous avez réalisé pour l’affiche des Prix Töpffer?

Au départ, je me suis demandé à quoi Genève me faisait penser. Je me rappelle y avoir goûté des chocolats merveilleux. J’adore le chocolat! J’ai intégré ensuite les autres éléments: les étudiants, Rodolphe Töpffer et beaucoup de neige.

Vous avez déjà une expérience de Genève?

J’y suis venue, mais il y a très longtemps pour des vacances. Je me souviens avoir nagé dans le lac. Je connais mieux Zurich car mon éditeur se trouvait là-bas.

Que vous évoque Rodolphe Töpffer?

Son trait était très fluide. Il parlait avec sa plume. Ses personnages sont pleins de vitalité. Il fait toujours attention aux détails. C’est une figure importante pour moi.

Quelles sont vos influences chez les bédéistes francophones?

J’adorais Claire Bretécher qui est décédée récemment. J’ai vu son nom pour la première fois dans les années 80, j’aimais beaucoup son travail. Je me souviens avoir acheté ses livres en France. Il me semble qu’on travaille dans le même univers elle et moi. J’aime bien aussi Jacques Tardi et David Prudhomme. Il y en a beaucoup que j’aime!

«Claire Bretécher et moi travaillons dans le même univers»

Comment êtes-vous tombée dans le bain de la bande dessinée et de l’illustration?

J’ai toujours été passionnée par le dessin. Je dessinais tout le temps quand j’étais petite. J’ai fait du graphisme à Londres pendant quatre ans. En quittant la Central School of Art and Design de Londres, je me demandais ce que j’allais faire. J’ai commencé à dessiner pour des journaux à Londres où j’habitais. Les commandes arrivaient toujours à la dernière minute; je recevais le sujet à 11h du matin et je devais remettre mon dessin vers 17h, je travaillais toujours sous pression. J’ai commencé à dessiner pour The Guardian en 1972.

En 1977, j’ai rencontré l’éditeur du journal dans l’ascenseur, il m’avait demandé «Posy, avez-vous déjà pensé à faire un strip?». Je me suis dit «Quoi? Un striptease?». Il m’a répondu que c’était pour réaliser une BD [en anglais, le mot strip désigne une case de BD] car une place s’était libérée et il voulait que je sois celle qui remplisse cet espace. J’ai alors créé la famille Weber. Cette BD a duré pendant onze ans dans The Guardian. Elle était diffusée une fois par semaine sur une demi-page ce qui donne une belle visibilité. Au début, c’était très difficile, puis ça s’est amélioré. À cette époque, les lecteurs écrivaient encore des lettres, j’en ai reçu tellement! Si j’écrivais une histoire sur un divorce, je recevais des courriers où on me demandait «Je suis en plein divorce, que dois-je faire?», on me demandait des conseils sur les poux… j’étais surprise et ne pouvais évidemment pas répondre. C’était devenu «le courrier des lecteurs»!

Est-ce qu’on travaille différemment avec la pression?

Lorsque je travaille sous pression, mon esprit fait des étincelles. Si j’ai trois mois pour faire quelque chose, je fais tout à la dernière minute. Ce n’est pas très bon pour la santé, mais j’ai toujours travaillé comme ça. Ce sont les contraintes d’un journal.

Mes bandes dessinées Tamara Drewe et Gemma Bovery ont commencé dans le journal comme des feuilletons avant de devenir des bandes dessinées. Gemma Bovery était publiée au rythme d’un épisode par jour, c’était dur de tenir le rythme. Tamara Drewe, c’était deux épisodes par semaine. Les histoires étaient écrites au fur et à mesure.

«Lorsque je travaille sous pression, mon esprit fait des étincelles»

Quel est votre rapport à la jeune génération de bédéistes et d’étudiant·e·s ?

Je n’ai jamais enseigné, mais quelques étudiants et étudiantes m’ont posé des questions. Lorsque j’ai publié Gemma Bovery, c’était la première fois que j’allais en France à Angoulême. C’était génial de se rendre compte que je faisais partie d’une grande famille, celle de la BD. Pour les étudiant·e·s, je suis un dinosaure. Je fais tout à la main, je ne suis pas bonne avec les nouvelles technologies. Quand un·e étudiant·e me demande quel programme j’utilise pour la couleur, je lui réponds que je travaille manuellement. Je crois qu’en Suisse beaucoup d’étudiant·e·s fonctionnement également comme ça.

«Quand un étudiant me demande quel programme j’utilise pour la couleur, je lui réponds que je ne travaille qu’à la main. Pour les jeunes, je suis un dinosaure!»

Qu’est-ce que vous pensez transmettre aux étudiant·e·s de la HEAD et du CFP Arts lors des workshops que vous réaliserez avec elles et eux à Genève?

Je veux leur apprendre à regarder, à prendre des notes, à relever comment les gens parlent, comment ils s’asseyent, comment ils posent. Il faut être curieux. Comment ceci fonctionne? Pourquoi un chat marche? Dans un dessin, chaque détail doit être parlant, il a la même utilité qu’un mot dans un roman. Vous devez savoir comment les personnages agissent et écrire les bulles, votre message doit être clair et concis. Parfois, les phylactères sont tellement longs et verbeux. C’est ce genre de choses que j’ai passé ma vie à faire et qui pourrait peut-être leur être utile.

«Pour être dessinatrice, il faut être curieuse. Se demander comment telle chose fonctionne, pourquoi un chat marche… C’est ce que j’ai passé ma vie à faire.»

Le monde est dans un état critique, quels sont les sujets actuels qui vous inspirent?

Ce que je vois tous les jours. J’habite Londres, vous pouvez entendre le cri de la vie au quotidien, partout. J'ai beaucoup marché, surtout à l’époque du confinement. J’ai pris des notes, dessiné des croquis. La vie quotidienne de tout le monde m’inspire. Mon inspiration peut aussi être politique. Si je prends ce cahier de croquis par exemple, il est rempli de sans-abri qui dorment dans la rue, à côté de containers à poubelle. Ces personnes me font penser à des chrysalides.
Quand j’ai rejoint The Guardian, il y avait déjà des dessinateurs politiques alors ils m’ont demandé de dessiner sur des sujets de société. Je n’ai cessé de le faire depuis. Même si je ne dessine plus de manière régulière pour ce journal, je continue ponctuellement à leur proposer des dessins. Je ne souhaite plus devoir tenir tous ces délais.

«Lorsque je marche dans Londres, je peux entendre le cri de la vie. La vie quotidienne m’inspire.»

Qu’est-ce que vos bandes dessinées disent de vous? Est-ce que certains de vos personnages vous ressemblent?

Hum, je n’espère pas! Pour Gemma Bovery, l’idée m’est venue alors que nous étions en Italie sur la terrasse d’un café. On a entendu des soupirs et vu une très belle femme qui venait de faire son shopping avec son Jules qu’elle traitait comme un chien. Elle soupirait constamment et fumait. On s’est exclamé «c’est Madame Bovary» et ça m’a donné l’idée. À cette époque, beaucoup d’anglais achetaient des maisons secondaires en Normandie, en Bretagne et en Provence. C’est comme ça qu’est née cette histoire. Pour ma part, à la même période, j’avais une maison secondaire dans le sud-ouest de l’Angleterre, je comprenais donc très bien ce qui coinçait entre les gens de la ville et de la campagne. Ce livre était aussi un hommage au grand Gustave Flaubert.

Vous avez été présidente du jury à Angoulême et le serez prochainement pour les Prix Töpffer [la lauréate du Grand Prix participe à la nomination du Grand Prix de l’année suivante], comment appréhendez-vous ce rôle?

C’est un grand honneur pour moi. À Angoulême, j’avais très peur de juger tous ces livres en français. Lors des discussions en français, parfois mon vocabulaire n’était pas assez précis, mais ça s’est bien passé. C’est une grande responsabilité de juger les autres. J’ai également été jury en Angleterre, ce qui est plus facile pour moi que d’être jury dans une autre langue.

«C’est un grand honneur, mais aussi une grande responsabilité de juger le travail des autres»

Deux de vos bandes dessinées ont été portées au cinéma. Avez-vous suivi ce processus?

Avec les deux films, j’avais simplement un petit rôle de conseillère. J’ai suivi l'avis d’un ami qui avait aussi eu droit à des films tirés de ses livres, il m’a dit «Prends l’argent et cours». D’une certaine manière, j’ai fait ça, mais j’étais disponible pour répondre aux questions des réalisateurs lorsqu’ils ne comprenaient pas quelque chose. Le film Tamara Drewe est très fidèle à mes personnages, mais un film reste très différent d’un livre. Cela ne doit pas nécessairement être une simple transposition.

Quels sont vos projets?

Je suis en train de construire un nouveau roman pour les adultes. L’histoire se déroulera pendant les années de ma jeunesse, les années 50 et 60. J’ai repris mes journaux personnels de l’époque comme inspiration.

Posy Simmonds© Posy Simmonds

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